đ„ KLON « On essaie dâatteindre une Ă©nergie unanime. »
photo : Adriana Pagliai
La nuit est dĂ©jĂ tombĂ©e depuis un bail ce lundi soir de dĂ©cembre, et les sept membres de KLON sont autour d’une longue table en bois dans ce bar fermĂ© au public et presque vide du 18e arrondissement. A peine l’entretien commence que l’on ressent dĂ©jĂ aisĂ©ment l’Ă©nergie d’un collectif soudĂ© au service de la construction d’un univers sur-mesure et sans Ă©quivoque. De ces solides fondations crĂ©atrices sont dĂ©jĂ sortis deux titres, deux clips et deux sessions live dans lesquels les alchimies mutuelles font monter la tempĂ©rature. Ces agitations molĂ©culaires libĂ©ratrices prometteuses avaient retenu l’attention du briquet de Piste 1, qui est allĂ© Ă leur rencontre. Interview !

Piste 1 : Salut KLON, merci pour la rencontre! On a pas trouvĂ© grand chose sur vous en prĂ©parant notre entrevue. Est-ce que vous aimez cultiver un mystĂšre, un aspect brut et froid comme le fait penser dâailleurs votre logo ?
KLON : Oui, câest une sorte de brutalisme. Câest notre style. On ne dĂ©bute pas, ça fait longtemps quâon a créé le groupe. Avant KLON, on Ă©tait un collectif de rap. Vous parliez de chanson française en vous prĂ©sentant, on a toujours eu un fort rapport au texte de par le fait quâon vient du rap. Dans le rap on avait ce cĂŽtĂ© froid, mystique, presque religieux. Et notre nom KLON sonne comme un terme de gĂ©omĂ©trie allemande ou soviĂ©tique. Cette esthĂ©tique mystĂ©rieuse nous plaĂźt. Mais, mis Ă part cet aspect froid, ce quâon produit est chaud, câest un kiff et câest aussi une sorte de critique dâune sociĂ©tĂ© quâon trouve trĂšs froide.
Dans une de vos interviews rĂ©alisĂ©e pour Soul Kitchen, vous Ă©voquez le terme dâindustrialisation. Vous vivez dans une maison ensemble, et les formes du logo du groupe nous ont aussi fait penser Ă une sorte de dessin dâarchitecture, du Bauhaus allemand par exemple. Câest quoi votre rapport Ă lâindustrialisation : elle vous fascine, elle vous fait peur ?
On est un peu atterrĂ©s par la maniĂšre dont elle se passe. On est dans un monde hyper individualiste et froid : tout le monde est cachĂ© avec son tĂ©lĂ©phone, etc … Ăa rejoint les images quâon a créées pour le clip de notre morceau âNoiseâ. On a donc cette esthĂ©tique assez froide en apparence mais, derriĂšre, ce quâon fait est chaud, et ce contraste est une maniĂšre pour nous de retourner cette impression quâon a.
Au niveau des images, on a pas envie de sâĂ©tendre, de tout raconter de nous. On prĂ©fĂšre garder le mystĂšre pour que les gens viennent nous chercher.
Câest marrant puisque vous parlez du fait que ce vous produisez est âchaudâ. Notre slogan chez Piste 1 câest âLa piste brĂ»leâ, on a en tĂȘte ces images dâune chanson qui se consume quand on lâĂ©coute âŠ
Ah, vous allez kiffer notre prochain titre alors !
Et donc vous faites de la musique ensemble, dans la maison dans laquelle vous vivez tous ensemble aprĂšs votre rencontre au lycĂ©e. Câest ce qui apporte justement cette chaleur dont vous parlez ?
On sâest rencontrĂ©s dans des soirĂ©es quand on Ă©tait au lycĂ©e, oui. On freestylait ensemble, et il y a une sorte de ârespectâ entre rappeurs qui sâest instaurĂ© entre nous. Ăa a Ă©tĂ© vraiment un coup de foudre alors quâon Ă©tait dans des lycĂ©es diffĂ©rents. On se sapait aussi un peu pareil, on sâest tous reconnus.
On sâest donc rencontrĂ©s par le rap, et trĂšs rapidement on sâest dit quâil y avait quelque chose Ă faire ensemble. On a trĂšs rapidement voulu habiter ensemble car on ne souhaitait pas se voir que le weekend, ce nâĂ©tait pas suffisant. Il fallait quâon soit H-24 sur le projet. On avait un peu en tĂȘte le projet dâune factory. Et câest aussi ce que notre logo symbolise dâailleurs. Tout se crĂ©e lĂ -bas, dans cette maison. Câest notre QG artistique, on a nos studios, on produit tout chez nous. Et cette maison est aussi lâaboutissement dâun de nos rĂȘves.
En fait on a toujours eu un QG, mĂȘme quand on Ă©tait au lycĂ©e. On se retrouvait toujours Ă lâĂ©poque dans un grenier quâon appelait la âSDJâ pour âSalle de jeuâ, qui en rĂ©alitĂ© Ă©tait plus une âSalle de jointsâ. (rires) Et donc on a toujours Ă©tĂ© Ă la recherche dâun endroit oĂč on pourrait ĂȘtre libres de faire absolument ce quâon veut. On mettait Ă lâĂ©poque des instrus en fond sonore, on freestylait, on pensait Ă des idĂ©es de clips âŠ
On a regardĂ© rĂ©cemment des vieilles vidĂ©os-souvenirs de cette Ă©poque, et on sâest rendu compte quâau final on faisait toujours la mĂȘme chose aujourdâhui ! Il y a toujours eu cette envie pour nous de faire de la musique.
Vous vous ĂȘtes donc rencontrĂ©s dans une optique presque instantanĂ©e de crĂ©ation ?
Oui, clairement. Tout est venu de cette envie. Avant dâĂȘtre potes, on voulait crĂ©er, Ă©crire, partager ensemble. On sâest captĂ©s, et on a rapidement compris quâon avait cette mĂȘme sensibilitĂ©, qui Ă©tait presque magnĂ©tique. Il fallait quâon fasse quelque chose ensemble, nâimporte quoi. On a toujours eu notre projet musical, mais au dĂ©but on ne savait mĂȘme pas exactement dans quel sens aller, on avait 10 000 idĂ©es. Il y a plein de rĂȘves quâon a en tĂȘte depuis notre rencontre, et aujourdâhui on est peut-ĂȘtre en train dâen rĂ©aliser un par la musique.
On a envie de faire beaucoup de choses et de rassembler autour de notre cause, qui est celle de lâamour, du vivre-ensemble, de la libertĂ© de vivre et de suivre ses rĂȘves.
Vous avez donc Ă©galement dâautres rĂȘves ?
On a tous un gros attrait pour le cinĂ©ma. On ne sait pas encore pour quand et câest encore tĂŽt mais on a des envies de film, ou de dessin animĂ©, dont on parlait dĂ©jĂ beaucoup Ă lâĂ©poque de nos moments dans la âSDJâ. On a envie de raconter des histoires autrement que par la musique. On a envie de faire beaucoup de choses et de rassembler autour de notre cause, qui est celle de lâamour, du vivre-ensemble, de la libertĂ© de vivre et de suivre ses rĂȘves.
KLON ce nâest pas quâun projet musical, câest aussi la vie, la vie collective, quâon partage avec plein de gens pour mettre encore plus dâĂ©nergie dans notre marmite.
Vos deux clips ont des teintes plutĂŽt sombres, et la couleur arrive Ă la fin âŠ
Oui, il y a cette idĂ©e quâon sâĂ©chappe ensemble vers quelque chose de plus colorĂ©, et qui nous correspond plus. Notre maison, nous lâavons souhaitĂ© comme un empire dans lequel on suit nos propres rĂȘves, on suit nos propres rĂšgles.
Autour de ça, on invite nos potes Ă la maison qui se transforme alors en un lieu fĂ©dĂ©rateur, au-delĂ mĂȘme de notre musique. Au-delĂ de notre art musical, on a un art de vivre. KLON ce nâest pas quâun projet musical, câest aussi la vie, la vie collective, quâon partage avec plein de gens pour mettre encore plus dâĂ©nergie dans notre marmite. Par exemple pour le clip de âWestâ, toute lâĂ©quipe de tournage a dormi trois jours Ă la maison. On a Ă©tendu notre mode de vie familial Ă ceux qui nous entourent.

Vous vous ĂȘtes entourĂ©s de vidĂ©astes pour vos clips ?
Des potos en fait ! Parfois on est obligĂ©s dâaller dĂ©marcher quand on ne connaĂźt pas les gens, mais on aime vraiment bosser avec nos potes. Parfois on rencontre aussi des gens avec qui on a envie de bosser, et ça devient rapidement nos potes. On aime bien se faire des potes ! (rires)
Finalement, vous vous rapprochez de la forme dâun collectif de rap, et vous venez justement de cette musique.
Le rap ce sont parfois des collectifs mais aussi des personnes toutes seules qui grattent dans leur coin. En tout cas à un moment il y a forcément du contact pour réussir à faire de la musique.
Mais oui, câest vraiment lâesprit rap quâon a gardĂ©. On part de rien, dâune carte son et dâun micro, et on enregistre, on fait du son. On se demande qui de nous sept sait faire quoi, et on se lance ! Quand on faisait du rap, on a produit 80 sons sur Soundcloud, quelques clips …
Et vous nâavez pas eu envie de poursuivre dans le rap ?
On a Ă©voluĂ©. Ăa fait six ans quâon se connaĂźt maintenant, câest assez court, mais câest en mĂȘme temps six ans de projets, de stratĂ©gies. Le projet KLON a deux ans, aujourdâhui, on a dĂ©jĂ sorti nos deux premiers titres, mais on a dĂ©jĂ beaucoup de travail derriĂšre nous.

On a Ă©voquĂ© le fait que vous venez du rap et lâattention que vous portez aux mots. Câest donc peut-ĂȘtre le moment de parler un peu de chansons FR. Jâai regardĂ© un peu les morceaux et artistes que vous citez dans vos interviews, et on y trouve par exemple du Pink Floyd, du John Maus mais surtout ⊠du Laurent Voulzy.
Laurent Voulzy est parfois mal vu, moquĂ© pour sa fragilitĂ©, sa lĂ©gĂšretĂ©, mais au final câest une rockstar ! Câest ce qui fait son charme dâailleurs. Il a un dĂ©tachement, une nonchalance, mais il est trop fort.
On est beaucoup attachĂ©s Ă la chanson française, par le texte, la poĂ©sie quâon ne trouve nulle part ailleurs.
Pourquoi ĂȘtes-vous attachĂ©s Ă la chanson française ?
On est beaucoup attachĂ©s Ă la chanson française, par le texte, la poĂ©sie quâon ne trouve nulle part ailleurs. Des gens commes Gainsbourg, les Rita Mitsouko ⊠ce sont des groupes comme ce dernier qui nous font kiffer la culture française en vĂ©ritĂ©, qui font quâon se sent fier dây appartenir, sensibles Ă elle, et qui nous donne alors envie de la promouvoir et de âperpĂ©tuer sa traditionâ. Surtout dans le contexte dâaujourdâhui, on parle quand mĂȘme beaucoup en abrĂ©viations et on perd un peu de la poĂ©sie de cette langue tout de mĂȘme.
Il y a un peu deux effets contraires par rapport Ă la langue française je trouve : un certain effet d’appauvrissement mais un gros effet de crĂ©ation Ă©galement, avec ce quâapporte le rap par exemple.
Oui complĂštement, et câest grave cool aussi. AprĂšs, câest vrai que quand on faisait du rap, câĂ©tait un style avec des rĂ©fĂ©rences un peu techniques que personne ne comprenait, on avait notre langage, dĂ©jĂ un peu mystique. On a commencĂ© dans le rap conscient avec des rimes, aprĂšs on est allĂ©s vers un truc plus lĂ©ger, on a pris les codes de la trap lĂ©gĂšrement ego-trip. Vers la fin, on avait ce cĂŽtĂ© âfictif/cinĂ©maâ trĂšs imagĂ©, un peu story-telling, et ça a alors fait la transition vers KLON.
On est aussi assez attentifs aux sonoritĂ©s. LâĂ©nergie dâun mot, comment il va sonner, câest hyper important. On porte une attention vraiment particuliĂšre au texte et quand on Ă©crit, ça prend trĂšs longtemps. On Ă©crit tous ensemble.
Vos chansons restent assez brutes dans les paroles. Vous élaguez beaucoup votre écriture à un moment donné ?
Oui, on peut parler dâune espĂšce de brutalisme, câest vraiment ça. Une sorte de simplicitĂ© quâon recherche dans le texte mais aussi dans beaucoup de projets quâon fait. Des choses comprĂ©hensibles, vraiment parlantes, des idĂ©es claires tout simplement, que les gens peuvent sâapproprier, en tout cas on lâespĂšre.
On ne veut pas faire de fioritures, pas de dĂ©tours, on essaie de trouver le mot parfait qui veut vraiment dire ce quâon souhaite transmettre.
Vous recherchez des mots performatifs, des mots qui ont beaucoup dâefficacitĂ© ?
Oui tout Ă fait ! Elaguer, câest tout Ă fait ce quâon fait quand on crĂ©e un texte. On ne fait quâĂ©laguer, jusquâau moment oĂč on a un truc mĂ©ga sharp, mais pas au sens pĂ©joratif. On veut choisir le meilleur mot pour transmettre nos Ă©motions. On ne veut pas faire de fioritures, pas de dĂ©tours, on essaie de trouver le mot parfait qui veut vraiment dire ce quâon souhaite transmettre. On est touchĂ©s par ce genre de poĂ©sie, ce cĂŽtĂ© brut et sincĂšre. Ce nâest alors pas de la fausse poĂ©sie, lorsque tu embellis les phrases, avec des fleurs et du parfum.
Sentir ton coeur rouge / Sans quâil ne sâessouffle
Sâenfuir, le temps court / Sentir la terre rouge
Extrait de la piste « West » de KLON
Ăa vous demande toujours du temps, ou alors vous pouvez trouver le bon mot trĂšs instinctivement ?
La crĂ©ation câest compliquĂ©, tout dĂ©pend des moments. Il nây a jamais de rĂšgles, il nây a pas de recette. Câest toujours un peu un nouveau jour, une nouvelle journĂ©e, une nouvelle façon de composer. Le plus important câest quâon compose ensemble, et câest ça qui prime. Câest ce collectif. On essaie dâatteindre une Ă©nergie unanime.
Et justement à partir de quand vous considérez que vous pouvez défendre votre chanson et la montrer au monde ?
Câest compliquĂ©. Les deux singles quâon a sortis, ce sont des morceaux quâon a remoulinĂ©s plein de fois. Cependant, il est vrai que quand on sort de sessions dâĂ©criture, on peut avoir des petites interrogations mais il y a des Ă©lĂ©ments qui sont dĂ©jĂ inscrits dans la pierre. On peut retoucher les textes si on se rend compte quâil y a des phases qui nâallaient pas, mais en gĂ©nĂ©ral on le fait trĂšs peu. Une fois quâon est tous les sept unanimes alors le texte est gravĂ© dans la roche et dĂ©fendable.
Câest aussi au feeling. Ca ne sâintellectualise pas trop. Ce cĂŽtĂ© instinctif nous est cher. Et il faut vraiment quâon Ă©coute notre coeur parce quâen fait, on le sait tous facilement quand câest bon. Quand un de nous sept est derriĂšre le micro, on sent tous Ă un moment donnĂ© quâil faut garder âcette phase-lĂ â, âcette interprĂ©tation-lĂ â. On ne saurait pas expliquer pourquoi, on ne se base sur aucun critĂšre, juste sur une sensation, une Ă©motion qui se passe dans notre corps. Câest une transe collective. On sait alors quâon a touchĂ© notre vĂ©ritĂ©.
Vous parlez de transe, ça fait du bien dâentendre cela. Quelle est votre expĂ©rience de la scĂšne et Ă quel point avez-vous envie de la retrouver ?
On a trĂšs peu dâexpĂ©rience, on a fait deux concerts en octobre 2019 et fin janvier 2020 Ă la Cigale pour la premiĂšre partie dâAlice et Moi. CâĂ©tait une super opportunitĂ© pour nous ! AprĂšs, ça sâest bien sĂ»r arrĂȘtĂ© net. On avait plein de concerts programmĂ©s, on Ă©tait prĂȘts Ă tourner et là ⊠On nâa pas retouchĂ© Ă la scĂšne depuis. On a fait des sessions live Ă la maison.
Mais ce contexte historique qui nous a freinĂ© nous a finalement poussĂ© Ă nous remettre en question, encore et toujours. Sur les deux premiers concerts, on Ă©tait avec un ordi sur scĂšne. CâĂ©tait cool mais on sentait quâil y avait un truc de âsĂ©quenceâ pas trĂšs humain. On se lĂąche moins, il y a moins dâimprĂ©vus. Pendant ce confinement on sâest dit quâon allait enlever lâordi et se remettre derriĂšre la batterie. On est en train de mettre ça en place et câest frustrant de ne pas pouvoir le montrer.
Quand tu joues de la musique câest pour partager. Le public a besoin de ça et nous on en a besoin, en tant quâartiste, pour prendre cette Ă©nergie. Câest une Ă©nergie mutuelle qui est transmise entre lâartiste et son public, qui est nourrissante pour tout le monde. En ce moment, on rĂ©pĂšte, on se fait kiffer tous les sept, on fait de la musique entre nous mais on fait de lâart pour que les autres se chauffent avec nous avant tout et pour partager notre vision des choses. En tout cas on sâest bien prĂ©parĂ©s. Quand le live va recommencer, on va mettre le feu Ă la scĂšne !
DerniÚre petite question qui brûle : vous avez le champ libre pour nous donner chacun une chanson française que vous avez envie de partager !
- Aux enfants de la chance (Serge Gainsbourg)
- Bijou Bijou (Alain Bashung)
- Le sud (Nino Ferrer)
- Quand jâĂ©tais chanteur (Michel Delpech)
- Les playboys (Jacques Dutronc)
- Vertiges de lâamour (Alain Bashung)
- Idées noires (Bernard Lavilliers)
Merci beaucoup pour votre disponibilité et votre répondant, on a hùte de vous revoir sur scÚne. Force à vous !
propos recueillis par Ryme et Simdo
Remerciements Ă KLON et Ă Nicolas Vandyck
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