đ„ Chevalrex « Mes chansons mâĂ©chappent toujours un peu, je fais en sorte quâelles gardent une forme de mystĂšre pour moi. »

« Suis-je d’ici ou de lĂ -bas ? » nous chante Chevalrex dans son titre « OphĂ©lie suite » Ă mi-chemin de l’Ă©coute de son nouvel album. D’un ailleurs fantasmĂ© Ă un quotidien rĂ©el, des plages de l’Ăźle de La DĂ©sirade en Guadeloupe Ă la mĂ©tropole rugueuse, s’est construit l’album Providence, quatriĂšme opus d’un auteur de chansons aux charmes tout aussi dĂ©licatement biographiques que foudroyant de confessions qui animent l’existence. Soutenu par une multiplicitĂ© d’ambiances musicales, du feu endiablĂ© des riffs de guitares Ă effets et des caisses claires au dĂ©pouillement d’un piano ou d’une guitare sĂšche, Providence a l’Ă©vidence exotique d’une carte postale qu’on recevrait d’un alter-ego aventureux.
Rencontre et entretien-fleuve avec Chevalrex, son auteur, pour Piste 1.
Piste 1 : Salut Chevalrex, câest un plaisir de pouvoir parler avec toi de ton 4e album Providence que nous avons beaucoup aimĂ©.
Comment abordes-tu cet album ? Depuis ton premier opus Catapulte chaque album semble nous apporter des Ă©lĂ©ments nouveaux sur toi et sur la maniĂšre dont tu ressens les choses pour en faire des chansons. Tu disais sur France Inter cet Ă©tĂ© que tes albums rĂ©alisĂ©s jusqu’ici Ă©taient une maniĂšre de te dĂ©voiler. Providence a une pochette ensoleillĂ©e et on y trouve des chansons aux paroles plus affirmĂ©es et dĂ©finitives. Ce disque, câest la fin dâun cycle de croissance artistique ?
Chevalrex : Depuis mes dĂ©buts, chaque nouveau disque a toujours marquĂ© la fin dâun cycle. Providence nây Ă©chappe pas mais jâai lâimpression avec celui-ci que câest encore plus flagrant que pour les prĂ©cĂ©dents. Une porte sâest ouverte, je crois quâaprĂšs quatre albums je peux dĂ©sormais me libĂ©rer complĂštement, trouver une nouvelle maniĂšre dâapprĂ©hender les disques, les mettre en forme.
Je sais sinon rarement Ă lâavance ce que je vais dĂ©voiler ou ne pas dĂ©voiler dans mes textes. La seule chose qui mâintĂ©resse au fond et me fait ĂȘtre sĂ»r dâune chanson, câest si elle sonne juste Ă mes oreilles. Sa justesse. Je nâai pas dâautre mot. Câest le fait de me retrouver complĂštement dans ce que jâentends. Quand textes et musiques coĂŻncident avec ce que je suis, que jâai lâimpression que la chanson part vraiment de moi, quâelle avance en mĂȘme temps que moi … Comme je change, le point de vue change aussi. Mais il y a, malgrĂ© tout, des motifs qui reviennent dans mes textes depuis mes dĂ©buts.
Finalement, dâalbum en album, on peut plutĂŽt parler dâune certaine continuitĂ© de crĂ©ation dans ton parcours de chanteur ? Une mĂȘme recherche d’honnĂȘtetĂ© qui te guide Ă chaque fois pour chaque chanson ?
Les thĂšmes qui reviennent rĂ©guliĂšrement dans mes chansons tournent autour de lâidĂ©e de quitter un endroit, des histoires de sĂ©paration, des lieux ou des gens dont on se dĂ©tache. Ce sont vraiment les motifs que jâĂ©voquais Ă lâinstant, on les retrouve sous pas mal de formes diffĂ©rentes. Sur la derniĂšre chanson du disque « DĂ©sirade », par exemple, je chante : âpourquoi avoir peur de partir ?â. Jâai lâimpression de chanter cette phrase-lĂ en boucle depuis vingt ans.
DâoĂč, justement, cette impression quâon a dâĂ©couter quelquâun qui est en train de grandir, Ă force d’expĂ©rimenter les dĂ©parts. Sur ton avant-dernier disque Anti slogan, tu parlais Ă©galement Ă distance, comme en voyage, Ă tes parents sur la chanson âBonjour, câest moiâ.
Cette histoire de famille est trĂšs liĂ©e Ă ces motifs autour du dĂ©part, de lâĂ©loignement, bien sĂ»r. Lâune des chansons que je joue depuis 2004 Ă tous les concerts et que je nâai jamais rĂ©ussi Ă sortir une seule fois dâun set câest âMon hublotâ. Jây Ă©voque une sainte-trinitĂ© pĂšre, mĂšre, frĂšre. Ma famille. Dans le premier couplet, je quitte la planĂšte dans un vaisseau et salue ma mĂšre par le hublot, je dis au revoir Ă tout le monde en trois couplets. Il y a lĂ lâADN de plein dâautres chansons que jâai Ă©crites aprĂšs.
Je ne saurais dire pourquoi ce thĂšme prend une telle place dans ce que jâĂ©cris. Il y a sĂ»rement quelque chose dans le fait dâavoir grandi dans une petite ville de province. Jâai lâimpression que câest quelque chose dâassez universel et qui peuple lâinconscient de pas mal de gens, lâendroit dâoĂč lâon part, oĂč lâon revient ensuite, les gens que lâon quitte âŠ

Tu penses que ce thĂšme du dĂ©part donne Ă ta crĂ©ation une soif de dĂ©couvertes, en apportant Ă tes chansons ce cĂŽtĂ© disons âadolescentâ, de quelquâun qui a tout Ă dĂ©couvrir du monde et des gens ?
En tout cas câest cet Ă©lan-lĂ qui me porte souvent, une forme de candeur qui me guide et me donne envie dâĂ©crire. La chose que je recherche quand je fais des chansons et que j’enregistre, câest trouver une forme de souffle. Quand il est question de quitter ce qui nous ancre, le monde dans lequel on est, et dâĂ©chapper Ă toute forme de contingences, de contraintes. Pour ĂȘtre absolument Ă lâendroit oĂč je suis, oĂč jâĂ©cris, oĂč jâenregistre. Ce sont des choses profondĂ©ment rattachĂ©es Ă lâenfance, Ă lâadolescence. Je pense que câest cet aspect-lĂ aprĂšs lequel je cours. Et ce nâest pas Ă©tranger au fond des textes dont on vient de parler dâailleurs, aux thĂšmes de la sĂ©paration, du dĂ©part : comment Ă©chapper Ă une forme de rĂ©alitĂ© ?
En mĂȘme temps, câest bien dans le rĂ©el et dans cette rĂ©alitĂ© que je fais des disques. Câest cette sorte dâaller-retour avec le rĂ©el qui me semble intĂ©ressant. Et câest aussi ce qui mâexcite Ă chaque nouveau disque : trouver un terrain de jeu nouveau qui mâabsorbera complĂštement pendant un temps.
Mon intention nâest pas de cacher des choses mais de ne garder que ce qui me semble rĂ©vĂ©lateur.
Il y a un thĂšme que tu Ă©voques jusqu’ici peu dans tes interviews et qui peut pourtant bien coĂŻncider avec cette thĂ©matique de la rupture, câest lâamour. Il nous a semblĂ© que dans Providence, malgrĂ© des Ă©lĂ©ments voilĂ©s ou cachĂ©s, il y a beaucoup de chansons dâamour et une passion bien rĂ©elle.
Je ne voile pas beaucoup de choses en fait, câest juste que je nâen dĂ©voile que certaines. Mon intention nâest pas de cacher des choses mais de ne garder que ce qui me semble rĂ©vĂ©lateur.
Il y a en tout cas dans tes paroles beaucoup dâĂ©lĂ©ments suggĂ©rĂ©s que nous pensons liĂ©s Ă lâamour. MĂȘme si sur la chanson âTant de foisâ, tu sembles Ă©galement balancer des phrases brutes et radicales.
Le dĂ©but du disque est pourtant sans Ă©quivoque. Dans le morceau dâouverture âAu CrĂ©pusculeâ, je ne parle pas dâautre chose que dâamour, et le mot est mĂȘme clairement prononcĂ© (âaujourdâhui jâaffronte pour mon propre compte, lâamourâ). âProvidenceâ est une chanson dâamour aussi, Ă peine dĂ©guisĂ©e. La pochette du disque est manifeste Ă©galement par rapport Ă cela, je ne suis pas tout seul dessus. Et mĂȘme si Polina est en arriĂšre-plan, elle mâaccompagne. Nous nous sommes mariĂ©s en fĂ©vrier 2020, donc il y a quelque chose autour de cela, une histoire dâamour qui est au cĆur du disque, oui.
Une chanson autour de lâamour comme âDis Ă ton mecâ, sorte de valse amoureuse, est Ă©galement trĂšs diffĂ©rente de ce que tu as pu proposer auparavant.
Il y a deux morceaux dans le disque qui se retrouvent sur la face B et qui sont presque des âexercices de styleâ pop : âDis Ă ton mecâ et âUne rose est une roseâ. Jâai lâimpression dâavoir dĂ©jĂ Ă©crit ce type de morceaux il y a une bonne dizaine d’annĂ©es dans le groupe que jâavais avec mon frĂšre (NDLR : Les FrĂšres Nubuck), des chansons Ă personnages, mais dâavoir un peu mis de cĂŽtĂ© cette Ă©criture depuis mon premier album en tant que Chevalrex. Pour ces deux titres, jâavais dâabord les idĂ©es, jâai Ă©crit les deux chansons presque comme des exercices autour de personnages. Et donc par rapport Ă ce que je disais tout Ă lâheure, sur la volontĂ© dâĂ©crire des choses qui coĂŻncident avec ce que je suis, en laissant venir, sans prĂ©mĂ©diter, jâai fait un petit pas de cĂŽtĂ©. Ce jeu mâa amusĂ©, ça donne un ton un peu diffĂ©rent Ă cette deuxiĂšme partie dâalbum, une forme un peu plus 60âs et lĂ©gĂšre.
Ce genre de chanson se prĂȘtait alors parfaitement pour accueillir un duo, celui que tu fais avec Thousand sur âUne rose est une roseâ.
Oui et jâaime bien son ambiguĂŻtĂ©. Il y a des chansons dâamour sur le disque, il y a une pochette avec avec un homme et une femme mais dans cette chanson, câest un duo entre deux mecs. Ce qui vient en quelque sorte brouiller le signal, jâaime bien ça aussi⊠Il y a toujours quelques petites Ă©pines comme ça dans mes disques.

On te rassure (rires), tes chansons, mĂȘme si les thĂšmes sont parfois Ă©quivoques, ne sont pas faciles Ă dĂ©crypter et on y garde souvent une grande part de mystĂšre, notamment dans les histoires quâelles racontent.
Câest quelque chose dont je me suis souvent dĂ©fendu en parlant de mes chansons dans le passĂ©. Pendant longtemps, je disais que je ne voulais pas que mes chansons racontent quelque chose de trop prĂ©cis. Jâassociais ça Ă la trop grande tradition de la chanson française, avec pourtant des artistes et chansons que jâaime beaucoup, avec un personnage quâon suit du dĂ©but Ă la fin dâun titre. Je ne fonctionne pas vraiment comme ça en terme dâĂ©criture mais je crois aujourdâhui que cette façon dâaborder les choses me faisait surtout un peu peur. Aujourdâhui je suis bien plus tranquille avec cette question, mes chansons racontent parfois des choses trĂšs prĂ©cises. Câest au final surtout la question de lâinterprĂ©tation qui est importante et doit rester ouverte je crois.
Je pense Ă une chanson comme âLa Tombe de Jimâ : on peut lui faire raconter beaucoup de choses. Pour moi, câest une chanson de deuil et de reconstruction, câest ce qui mâa guidĂ© dans lâĂ©criture. Mais ça reste trĂšs ouvert au niveau du sens. Jâai dâailleurs eu pas mal de retours de gens qui mâont Ă©crit des choses trĂšs touchantes Ă son sujet. Jâai lâimpression que le prĂ©nom âJimâ invite Ă pas mal de projections. Moi-mĂȘme, je nâai pas exactement tranchĂ© sur qui est ce Jim, et Ă vrai dire ça ne mâintĂ©resse pas tant que ça de savoir. Beaucoup y projettent leur histoire, leur imaginaire, et je trouve ça trĂšs bien. Si jâavais dĂ©cidĂ© que Jim Ă©tait une personne rĂ©ellement identifiĂ©e, Jim Morrison par exemple, lâimagination suscitĂ©e par la chanson serait bloquĂ©e aussi net.
Quand on a entendu âLa Tombe de Jimâ pour la premiĂšre fois, on a de notre cĂŽtĂ© pensĂ© Ă âLa Ballade de Jimâ de Souchon. Jim serait mort dâamour aprĂšs son sĂ©jour Ă l’hĂŽpital, et on pourrait alors venir se recueillir sur sa tombe …
Câest ça que je trouve intĂ©ressant, que chacun connecte ce prĂ©nom Ă un Jim en particulier. On mâa aussi parlĂ© dâun hĂ©ros de BD des annĂ©es 50. Plein dâautres figures âpopâ. En l’occurrence jâaime bien Alain Souchon, la âBallade de Jimâ, je lâai entendu Ă la radio enfant, mais je ne me suis jamais rĂ©ellement arrĂȘtĂ© dessus. Je nâai donc pas pensĂ© une seule minute Ă cette chanson. Je pensais davantage au âJimâ de Jean-Louis Murat, Jim Harrison, je pensais Ă diffĂ©rentes choses, et ça mâallait bien comme ça.
Tout Ă©chappe toujours aux intentions initiales. Lâessentiel, câest quâil y ait rencontre.
Tu aimes cet aspect-lĂ de lâĂ©criture ? DĂ©poser un mot, un prĂ©nom ici en l’occurrence, et voir tout ce que cela va Ă©voquer aux gens ?
On ne peut jamais savoir ce que ça va Ă©voquer. MĂȘme en dehors de lâĂ©criture de chanson, quand tu rencontres quelquâun par exemple, on ne sait jamais les choses qui vont entrer en Ă©cho ou non avec lâautre. Ce sont souvent des malentendus. Tout Ă©chappe toujours aux intentions initiales. Lâessentiel, câest quâil y ait rencontre.
Je suis toujours trĂšs flattĂ© quand les gens me disent quâune chanson leur plaĂźt, leur parle, mais je suis souvent dĂ©passĂ© par les raisons, ce qui est trĂšs bien. Elles sont souvent liĂ©es Ă leur vie Ă eux. JâĂ©cris des chansons que les gens reçoivent comme ils veulent.
Mes chansons mâĂ©chappent toujours un peu quand je les Ă©cris. Je fais en tout cas toujours en sorte quâelles gardent une forme de mystĂšre pour moi.
âDe la peur au courage, de la crainte Ă lâimprudence il nây a que toi pour estimer la penteâ : en tout cas on a lâimpression que la personne dĂ©signĂ©e par le narrateur se cherche, et aspire Ă une sorte de libĂ©ration.
Quand jâai Ă©crit âLa Tombe de Jimâ, jâavais ce titre en tĂȘte avant la musique mais je nâĂ©tais pas arrĂȘtĂ© sur ce que je voulais raconter Ă travers ce titre. Et ce que jâaime bien finalement dans cette chanson, câest Ă la fois que son texte soit trĂšs ouvert et que sa forme musicale soit trĂšs claire. MĂȘme si jâai lâimpression que je nâĂ©cris pas ou ne compose pas de maniĂšre trĂšs classique, il y a toujours dans mes disques une ou deux chansons identifiables Ă des chansons plus classiques. Jâaime bien courir aprĂšs ces formes-lĂ , mais toutes les chansons ne sây prĂȘtent pas. Mes formes sont toujours assez mouvantes finalement.
Cette chanson-lĂ , quand elle est apparue, sâest Ă©crite trĂšs vite. JâĂ©tais content de la rencontre entre ce texte assez sombre et cette musique trĂšs prĂ©cise qui soutient la voix et lui permet de prendre de lâampleur.
Quand tu dis cela, on pense Ă la chanson âLa Nuit Je Mensâ de Bashung, Ă sa mĂ©lodie trĂšs efficace et ses paroles Ă©galement trĂšs vaporeuses oĂč chacun trouve son propre sens.
Ce qui est gĂ©nial dans cette chanson de Bashung, câest que sans en avoir lâair, avec un texte aux images incroyables, elle se fonde sur lâhistoire de la RĂ©sistance. Si elle avait Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e sous ce prisme-lĂ au moment de sa sortie, elle nâaurait certainement pas intĂ©ressĂ© grand monde. Et en mĂȘme temps, câest passionnant que cette chanson repose sur cet inconscient collectif : les rĂ©sistants, les voies ferrĂ©es, le Vercors âŠ
On a longuement parlĂ© des thĂšmes de la fuite et du dĂ©part qui parcourent ton Ćuvre. Dans tes chansons, tu convoques une multitude dâambiances diffĂ©rentes, notamment par les bruitages que tu y apportes. Je pense tout particuliĂšrement Ă ces chants dâoiseaux, qui apparaissent dans Providence sur les chansons âOphĂ©lieâ ou âMauvais DĂ©partâ. Tu te crĂ©es finalement dĂ©jĂ un ailleurs avec ces diffĂ©rentes ambiances sonores, un ailleurs qui ne correspond pas Ă lâendroit oĂč tu vis ?
Oui, et il y a deux choses paradoxales Ă dire lĂ -dessus. Tous les sons dâambiance que jâai toujours mis Ă droite ou Ă gauche dans mes disques ont toujours Ă©tĂ© enregistrĂ©s dans des endroits oĂč jâĂ©tais. Sur mon premier album Catapulte, les oiseaux quâon entend dans le titre âMariage Tahitienâ ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s en prise directe. AprĂšs coup, ce paysage sonore vient crĂ©er un dĂ©calage avec le rĂ©el mais câest pourtant bien pour ancrer mes chansons dans le rĂ©el que ces ambiances sont intĂ©ressantes ! Et donc cela vient Ă lâinverse de ce que tu soulignes. Jâai envie de faire entrer de la rĂ©alitĂ© dans mes chansons. De temps en temps, jâenregistre ainsi des ambiances dans la rue, dans la nature, je sais toujours quâelles ressortiront quelque part.
Avec ces bruits pourtant enregistrĂ©s dans ton quotidien et qui Ă©voquent un ailleurs plus exotique, ta pochette dâalbum ensoleillĂ©e au cadre tropical, on peut dire que tu trompes ton monde ?
Je suis content de cette pochette pour cette raison. Câest un peu la mĂȘme vocation que les ambiances sonores : crĂ©er un espace entre rĂ©el et imaginaire. Cette pochette donne aussi au disque un abord trĂšs ouvert, comme une forme dâinvitation, un endroit lumineux quâon reconnaĂźt instantanĂ©ment. On nâest pourtant pas exactement dans un disque tropical et ensoleillĂ©. Le fond du disque est mĂȘme, je le crois, plutĂŽt sombre mais le point dâĂ©quilibre entre la pochette et les chansons est intĂ©ressant. Câest le parti pris inverse de Futurisme (NDLR : le deuxiĂšme album de Chevalrex) Ă la pochette sombre, noir et rouge. Il y avait une vraie volontĂ© dâouvrir la porte en faisant cette pochette âŠ
Pendant longtemps, jâai eu le fantasme de faire un disque uniquement intimiste ou un autre uniquement pop. Mais les deux font partie de moi.
Câest un aspect qui revient souvent concernant tes influences : tu as beaucoup Ă©coutĂ© les artistes du label Lithium. Tu as lâimpression de prendre leur continuitĂ© dans ta dĂ©marche artistique assez introspective ? En Ă©coutant des artistes du label Lithium, on a en effet souvent lâimpression dâentendre les ressentis dâune personne seule face au monde, et qui Ă©crit des chansons Ă partir de cette matiĂšre premiĂšre.
Oui, le point de dĂ©part est souvent cela. Jâavais eu une discussion il y a quelques annĂ©es avec Vincent Chauvier, le fondateur du label Lithium. Le label sâĂ©tait arrĂȘtĂ© en 2004, et je lui avais posĂ© la question de comment il aurait imaginĂ© la suite de son catalogue sâil nâavait pas arrĂȘtĂ©. Quâest ce qui lui aurait semblĂ© intĂ©ressant Ă affirmer ? Et il mâavait dit, alors que Lithium travaillait avec des groupes relativement radicaux, aux textes trĂšs sombres, personnels et forts, quâil aurait aimĂ© que lâensemble puisse prendre un maximum de lumiĂšre. Et il avait Ă©voquĂ© les Rita Mitsouko. Un groupe Ă©trange, singulier, mais extrĂȘmement colorĂ© et populaire. Jâavais trouvĂ© ça super intĂ©ressant.
Cette possible ouverture Ă la lumiĂšre, pour moi qui suis plutĂŽt quelquâun dâoptimiste, qui aime vivre en tout cas, est trĂšs intĂ©ressante.
Jâai toujours oscillĂ© entre deux directions. Pendant longtemps je trouvais contradictoire de vouloir crĂ©er des formes ouvertes vers lâextĂ©rieur, trĂšs lumineuses, et dâautre plus intĂ©rieures, assez sombres. Lâune ou lâautre me posait problĂšme selon les jours. Aller vers la lumiĂšre et Ă©crire des chansons pop, dynamiques ou Ă©crire des chansons lunaires, plus intimes, comme si il fallait choisir, trancher. En fait, sur tous les disques que jâai fait, il y a toujours eu ces deux directions. Pendant longtemps, jâai eu le fantasme de faire un disque uniquement intimiste ou un autre uniquement pop. Mais les deux font partie de moi. Je nâai pas Ă choisir au fond.
On le ressent bien sur le disque avec des titres comme âOphĂ©lieâ, âMauvais DĂ©partâ au ton plus intime et des titres plus pop comme âDis Ă ton mecâ ou âMonarchieâ.
Il nâest pas impossible quâun jour je tente lâexpĂ©rience dâun disque qui aille uniquement dans une direction. Ăa pourrait ĂȘtre un dĂ©fi, jâaime les disques âmonolithiquesâ que jâĂ©coute de la piste 1 jusquâĂ la piste 12, et oĂč on ne vient pas mâembĂȘter avec des trucs qui viennent changer mon humeur au milieu. Et quand Vincent (NDLR : Vincent Chauvier fondateur du label Lithium) mâa parlĂ© de cette histoire de « lumiĂšre » pour Lithium, je me suis dit : âcâest intĂ©ressant parce quâen fait on aspire tous Ă quelque chose de diffĂ©rent, il est toujours question de changer, avancer⊠quel que soit le regard que portent les autres sur notre travail.â

LâĂ©quipe qui tâaccompagne sur le disque est la mĂȘme que sur Anti-Slogan : Mocke, Olivier Marguerit, Steffen Charon et Sylvain Joasson. Dans les critiques de cet avant-dernier album, on avait soulignĂ© le fait quâamener des musiciens extĂ©rieurs Ă lâenregistrement permettait Ă tes chansons dâavoir un aspect beaucoup plus ouvert. Penses-tu que sur Providence, ce mĂȘme effet a Ă©tĂ© apportĂ© ? Et par la suite, envisages-tu de revenir Ă un mode de composition plus personnel ?
Mocke je le connais trĂšs bien depuis quelques annĂ©es, Olivier et Sylvain je les connaissais moins mais je connaissais leur travail, câest la raison pour laquelle je les avais sollicitĂ© au moment dâAnti Slogan. Au final, ce nâest pas surprenant que la rencontre opĂšre. Ayant la capacitĂ© de faire pas mal de choses seul, je ne me serais pas forcĂ© si ça nâavait pas marchĂ©.
Le point de dĂ©part sur tous mes disques a toujours Ă©tĂ© un peu le mĂȘme sauf quâavant, je ne faisais aucune maquette, je finalisais tout de suite les choses comme je pouvais. Sur mon deuxiĂšme album Futurisme, les maquettes ont Ă©tĂ© âaugmentĂ©esâ par le mix. Sur mon avant-dernier, Anti-Slogan, le fait que les musiciens jouent en groupe sur les maquettes avait permis de faire des choix plus librement sur ce quâil y avait de mieux Ă garder dans le mix. Ăa avait vraiment permis de clarifier le signal.
Providence a Ă©tĂ© une synthĂšse de tout cela, il y a eu Ă la fois plus de home studio et plus de sessions de groupe. On a passĂ© pas mal de temps dans le studio de mix. Du coup il y a eu une espĂšce de âtambouilleâ, câest un mot qui se prĂȘte bien Ă ce que je fais quand je suis tout seul.
Pour la suite, j’ai envie de revenir Ă une conception de disque plus solitaire, pas forcĂ©ment dans une logique de contrepoint ou de rĂ©action. Mais lors de la conception de Anti-Slogan et de Providence jâai appris plein de choses et je me dis que lorsque je me retrouverai seul, il en sortira forcĂ©ment des choses nouvelles et intĂ©ressantes.
« Puisque je chante il serait temps, que vous sachiez sans prĂ©ambule, une heure au moins une heure ou cent, que dans mon corps les particules, de mes artĂšres Ă mes poumons, sans OphĂ©lie nâont plus de nom. »
Extrait des paroles de la chanson Ophélie par Chevalrex
On aperçoit le nom dâYves Simon dans la prĂ©sentation de ton album et tu as eu lâoccasion de reprendre sa chanson âRaconte-toiâ en live sur France Inter cet Ă©tĂ©. Cette chanson Ă©voque entre autres lâenvie de prendre une feuille et dây livrer ses confidences. Cela rappelle ici encore ton Ă©criture, notamment dans le titre âOphĂ©lie suiteâ oĂč tu chantes âPuisque je chante, il serait, temps, que vous sachiez sans prĂ©ambule …â Sur ta pochette, il y Ă©galement un fragment dâun poĂšme du russe Ossip Mandelstam : « Il est temps que vous le sachiez : je suis un contemporain, comme vous. »
Quand jâai vu ce poĂšme avec cette phrase, ces mots mâont directement percĂ© le cĆur. Je me suis dit alors que ça allait ĂȘtre le dĂ©but dâune chanson. Et ça a dĂ©clenchĂ© le texte de âOphĂ©lieâ.
âRaconte-toiâ dâYves Simon, je lâai Ă©coutĂ©e pour la premiĂšre fois quand jâavais 17,18 ans. Il y a des chansons avec lesquelles on a des histoires depuis longtemps mais qui mettent du temps Ă se rĂ©vĂ©ler. Ce disque appartenait Ă mon frĂšre je crois. Je regardais alors Yves Simon sur la pochette. CâĂ©tait le sosie de mon pĂšre Ă la mĂȘme Ă©poque ! (rires) Plus tard, mon frĂšre mâa fait Ă©couter cette chanson-titre en me faisant croire que câĂ©tait la chanson dâun copain⊠et jây ai cru !
MalgrĂ© toutes ces raisons familiĂšres extĂ©rieures Ă la chanson elle-mĂȘme, quand je lâai rĂ©entendue il y a deux ans, jâai Ă©tĂ© frappĂ©, jâavais lâimpression quâelle mâĂ©tait adressĂ©e.
Ăa prend tout son sens que Chevalrex reprenne Yves Simon finalement, tu ne trouves pas ?
AprĂšs Anti slogan, pour une promo on mâavait demandĂ© de faire une reprise. Je suis toujours un peu dĂ©muni lĂ -dessus car je nâai pas une pratique rĂ©guliĂšre de la reprise et des envies trĂšs diverses. On avait alors fait une reprise de la chanson âPortofinoâ, un morceau de Dalida que jâadore. CâĂ©tait trĂšs cool mais jâavais Ă chaque fois lâimpression dâĂȘtre quelquâun dâautre en la chantant. CâĂ©tait agrĂ©able et en mĂȘme temps ça mâagaçait un peu. Je trouvais que cette reprise nâĂ©tait pas nette. Alors que sur âRaconte-toiâ dâYves Simon, câĂ©tait limpide.
La chose contre laquelle je lutte, câest le doute. […] Certaines de mes chansons arrivent sans trop de complication. Dâautres sâĂ©crivent plutĂŽt sur deux ans.
Quand tu Ă©cris une chanson, Ă quel moment te dis-tu quâelle est aboutie et prĂȘte Ă ĂȘtre dĂ©fendue ?
La chose contre laquelle je lutte, câest le doute. Auteur-compositeur, ce nâest ni plus ni moins que faire des choix. Tu as des auteurs qui Ă©crivent plein de trucs mais qui ne savent pas sâarrĂȘter.
Certaines de mes chansons arrivent sans trop de complication. Dâautres sâĂ©crivent plutĂŽt sur deux ans. Ce sont alors des pages entiĂšres de carnets avec des textes rayĂ©s de tous les cĂŽtĂ©s⊠Les mots traversent les diffĂ©rents carnets et au bout dâun moment, le texte nâest plus rayĂ©, et je me dis : âça y est, câest bonâ.

Et ces chansons finies doivent avoir principalement quelles qualités pour toi ?
Je ne saurais trop dire pour les qualitĂ©s. En fait câest vraiment la musique et le texte. Je crois que jâai une exigence sur les deux. Il faut que je sente que je suis allĂ© au bout des deux aspects. En fait je pourrais trĂšs bien ne faire que de la musique instrumentale ou uniquement Ă©crire et y trouver satisfaction aussi. Mais concernant une chanson, il faut atteindre le moment oĂč les deux arrivent Ă un point dâaboutissement et sâimbriquent parfaitement. Il y a parfois des textes dont je suis content mais qui ne fonctionnent pas avec la musique et inversement.
Et dâailleurs on se pose souvent la question de lâinsertion des paroles avec la musique, notamment lors du mixage. Il y a cet arbitrage lĂ Ă faire aussi entre les deux.
Pendant trĂšs longtemps je considĂ©rais que câĂ©tait de la musique avant tout. JâĂ©coutais pas mal de musique anglo-saxonne, je nâĂ©tais pas trĂšs attachĂ© Ă lâintelligibilitĂ© des textes. Pourtant, je nâai jamais Ă©crit des trucs Ă la va-vite, mais je me disais que je faisais de la musique avant tout.
Sur ce disque, jâai lâimpression dâassumer plus les textes et ma voix que sur les prĂ©cĂ©dents. Jâai toujours assumĂ© Ă 200% la musique avec de longs passages instrumentaux etc⊠LĂ , Providence est vraiment le disque de chansons que jâaspirais Ă faire. Et du coup en termes de mix, la voix est plus mise en avant, je lui ai laissĂ© davantage dâespace au niveau des orchestrations.
Pour finir, notre âtribune libreâ habituelle : peux-tu nous parler dâune chanson francophone que tu as envie de partager pour conclure cette interview ?
Ăa fera le lien entre pas mal de choses qu’on a Ă©voquĂ©es, c’est une chanson immense dans tous les sens du terme : 1983 (Barbara) de Mendelson.
Merci beaucoup Ă toi pour ton temps ! CâĂ©tait super de pouvoir discuter de Providence.
Chevalrex x Providence x paru le 22 janvier 2021 (Vietnam Label)

TRACKLIST :
1. Au Crépuscule
2. Providence
3. Tant de fois
4. La tombe de Jim
5. Ophélie
6. Ophélie suite
7. Monarchie
8. L’endroit d’oĂč je parle
9. Dis Ă ton mec
10. Une rose est une rose (feat. Thousand)
11. Mauvais départ
12. Désirade
https://chevalrex.bandcamp.com/album/providence
https://www.instagram.com/chevalrex/?hl=fr
Propos recueillis par Ryme et Simdo
Remerciements Ă Chevalrex
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