đ„ Lonny «Toutes les chansons de lâalbum mĂšnent Ă cette petite action qui consiste Ă passer le pas de la porte.»

Pouvoir revenir en prĂ©sence d’une ou d’un artiste sur l’Ă©criture d’un premier album est un moment privilĂ©giĂ©. Il s’agit d’apprĂ©hender une amorce vers des trajectoires encore insoupçonnĂ©es, un acte de naissance vers tout un champ des possibles. Dans le cas de Lonny, cette arrivĂ©e au monde s’est produite cet hiver, et cela ne pouvait en ĂȘtre autrement. Comme une Ă©closion provenant du silence assourdissant des flocons, une dĂ©chirure dont ont jailli les onze chansons pourtant incandescentes composant Ex-Voto, premier opus transi de tremblements, de dĂ©sirs de guĂ©rison, mais dĂ©jĂ absolu.
Le pas de la porte est bien franchi, dehors il fait encore frisquet. Vite, place Ă notre entretien, avant que le printemps n’arrive!
Piste 1 : Bonjour Lonny! Merci pour le temps que tu nous accordes. On a beaucoup apprĂ©ciĂ© ton premier album Ex Voto. Il contient une ambiance que je trouve trĂšs hivernale, mais il a en mĂȘme temps quelque chose de chaud, dâincandescent, pour reprendre le titre dâun de tes singles (Incandescente). Comment es-tu parvenue Ă crĂ©er cette sensation de chaud-froid ?
Lonny : Jâai toujours composĂ© en hiver. Je trouve que câest la saison la plus inspirante. Câest une saison pleine de mouvements, et on a la possibilitĂ© de se rĂ©chauffer au grĂ© de tous ces mouvements. Câest dâailleurs intĂ©ressant comme philosophie je trouve : commencer par la sensation du froid et ensuite se rĂ©chauffer, plutĂŽt que lâinverse. En tout cas, quand jâĂ©coute de la musique, elle a trĂšs souvent cette vertu de me rĂ©chauffer. Elle est comme un âcoconâ pour moi.
Je nâĂ©coute presque que des albums dâhiver. Jâen parlais avec une journaliste tout Ă lâheure, qui me demandait quel Ă©tait lâalbum dâhiver que je prĂ©fĂ©rais. Je lui ai dit que toute la musique que jâĂ©coutais reprĂ©sentait, en somme, lâhiver. Câest une saison qui pour moi invite Ă lâintrospection. Dans le fait de composer de la musique, il y a originellement quelque chose de trĂšs hivernal je trouve. Et quand on a fait les arrangements de mes chansons, on les a ensuite voulu trĂšs proches de moi, et de cet aspect-lĂ de ma musique. Je pense que cette ambiance dĂ©coule de cela.
Jâai aussi un goĂ»t pour la musique lente et le âlentâ de maniĂšre gĂ©nĂ©rale. Jâaime les choses qui vont lentement. Je pense que câest vraiment un aspect de mon tempĂ©rament, je suis quelquâun dâun peu âpolaireâ, un âours polaire qui ne va pas trop viteâ (rires). Cela se traduit sur le tempo plutĂŽt tranquille de mes chansons.
Câest Ă©galement intĂ©ressant ce que tu racontes sur lâambiance de lâalbum, puisque concernant les textures des chansons, on a fait beaucoup de couches diffĂ©rentes au moment de lâenregistrement. Et câĂ©tait aussi une question de mix : jâai voulu quâon place des micros dans les piĂšces oĂč on enregistrait pour utiliser le moins dâeffets possible par la suite. Pour obtenir le âmixâ dĂšs la prise de son.
DâoĂč lâĂ©cho prĂ©sent parfois dans tes chansons ?
Oui exactement, et tu vois, la chanson de lâalbum qui illustre le plus cela, ce serait âBlack Holeâ, oĂč on a vraiment lâimpression que je suis trĂšs loin du micro.
On a Ă©tĂ© vraiment bercĂ©s par lâhiver pendant lâenregistrement de lâalbum. A vrai dire, on a fait une session d’enregistrement en Ă©tĂ© et une session en hiver, mais la session en hiver a Ă©tĂ© la plus productive. On Ă©tait dans une maison au Canada avec de la neige partout. Ex Voto est donc bien un album âpolaireâ je crois.

Quand tu disais que les albums que tu Ă©coutais Ă©taient des albums dâhiver, tu penses en premier lieu Ă des albums de folk ?
Oui câest ça, en tout cas des chansons acoustiques au coin du feu âŠ
Câest lĂ dâoĂč tu viens musicalement ?
Oui complĂštement! Et je voulais aussi rajouter quelque chose sur lâhiver et la musique : il y a un Ă©lĂ©ment, dans la neige, qui invite beaucoup au silence. Et tu vois, lâhiver, câest aussi un moment oĂč on part souvent du silence, du rien, et ce nâest quâaprĂšs quâil y a des choses qui apparaissent. On peut ensuite creuser ces premiĂšres inspirations et aller dans le dĂ©tail.
Est-ce que ressurgissent parfois de ce silence hivernal des questions, des thĂ©matiques, des pensĂ©es qui peuvent ĂȘtre inquiĂ©tantes pour toi ? Je me dis que de ce silence peut provenir une certaine angoisse que tu canalises ensuite par ta musique. Aussi, il nâest sans doute pas innocent que tu Ă©voques la mort parfois dans lâalbum. On ressent que câest un album oĂč tu es en recherche dâun certain accomplissement face Ă des peurs.
Oui, et tu vois lâalbum sâappelle Ex Voto, comme un vĆu de guĂ©rison. Je pars de cet Ă©tat de terrassement total, de vide absolu et de dĂ©construction des illusions. Je pars de de ces espĂšces de nuits noires existentielles que tu peux traverser. Oui, effectivement, je pars donc dâun endroit assez angoissant et puis jâessaye ensuite de me dĂ©brouiller pour rĂ©chauffer tout cela, pour emmener ces choses ailleurs, les transformer. Ce sont ces transformations que jâaime bien.
Piste 1 avait interviewĂ© lâartiste Chevalrex lâannĂ©e derniĂšre Ă propos de son dernier album, et ce que tu dĂ©cris me fait penser Ă ce quâil nous avait dit alors. (NDLR : âLa chose que je recherche quand je fais des chansons et que jâenregistre, câest trouver une forme de souffle. Quand il est question de quitter ce qui nous ancre, le monde dans lequel on est, et dâĂ©chapper Ă toute forme de contingences, de contraintes.â)
Ah, tu sais que jâai beaucoup Ă©coutĂ© Chevalrex. Il mâa vraiment autorisĂ© plein de choses dans sa maniĂšre dâĂ©crire. Le fait de me mettre Ă Ă©crire en français a dĂ©clenchĂ© une quĂȘte dâauteurs Ă Ă©couter pour moi, et il faisait partie de ces auteurs. Câest mon papa qui me lâavait fait connaĂźtre en mâoffrant son album âFuturismeâ, oĂč il y une chanson intitulĂ©e âSerpentsâ que jâaime beaucoup.
« Il y a un endroit un peu magique dans lequel on se rend quand on fait de la musique. »
Tu parles de âtransformationâ. L’Ă©lĂ©ment maritime revient beaucoup dans ton album. Etant donnĂ© que tu as souvent fait des voyages entre la France et le Canada, est-ce que la mer symbolise pour toi une frontiĂšre entre deux mondes, comme un âpassage de transformationâ dont on ressort diffĂ©rent.
Jâai passĂ© pas mal d’heures Ă regarder la surface de la mer. Câest beaucoup cette surface qui mâa intĂ©ressĂ©e. Mais toutes ces allusions nâont pas Ă©tĂ© trĂšs conscientes. Ce sont mes musiciens qui mâont dit un jour que jâavais vraiment une rĂ©currence Ă Ă©voquer la mer! Et au moment oĂč on a rassemblĂ© les paroles, je me suis dit quâen effet, câĂ©tait dingue comme jâen parlais souvent.
RĂ©trospectivement, je me suis alors souvenue que jâavais beaucoup regardĂ© la surface de la mer. Je la considĂšre comme une intersection entre un monde et un autre. En fait, depuis que je suis petite, ce monde maritime me fascine complĂštement. Jâai passĂ© des annĂ©es Ă penser quâil y avait des sirĂšnes quâon ne voyait pas ⊠La mer, câest le monde des profondeurs quâon ne connaĂźt pas. Il y a aussi plein de lĂ©gendes qui vont avec. Câest un truc de fou quand mĂȘme les abysses par exemple, ces endroits mystĂ©rieux oĂč on ne peut pas aller âŠ
En tout cas, ce qui me fascine, câest bien cette surface de la mer. Cette surface qui cache plein de choses, et que je trouve complĂštement flippante finalement. Je ne vais jamais pas par plaisir Ă la mer, je nâaime pas me baigner, elle me rend un peu triste. Je suis allĂ©e Ă la RĂ©union rĂ©cemment, jâai trouvĂ© cet endroit dâune mĂ©lancolie folle. Je nâirai jamais habiter Ă la mer, mais câest un Ă©lĂ©ment que je trouve fascinant et mystĂ©rieux.
Ces allusions rĂ©currentes Ă la mer que tu nâavais pas prĂ©vues prouve que dans ton Ă©criture, câest aussi sĂ»rement ton inconscient qui a parlĂ©. Dans le titre de ton album, Ex-Voto, je crois quâil y a aussi bien cette dimension mystique, non ?
De tout façon jâai l’impression que pour guĂ©rir et se transformer, on est quand mĂȘme obligĂ© de faire appel Ă quelque chose de trĂšs mystique. Jâutilise donc aujourdâhui ce mot de âguĂ©risonâ pour parler de mon disque. Je ne parlais pas de mes chansons de cette maniĂšre avant, mais aujourdâhui je trouve quâil rĂ©sonne beaucoup avec ce que je fais. Je ne suis pourtant ni croyante et encore moins dogmatique, mais il y a un endroit un peu magique dans lequel on se rend quand on fait de la musique.

Dans ta maniĂšre dâĂ©crire il y a aussi beaucoup de rĂ©fĂ©rences aux Ă©lĂ©ments naturels, dans une certaine tradition folk. Jâai donc lâimpression que tu as bien rĂ©ussi Ă faire du folk en français. Tes paroles se construisent de la mĂȘme maniĂšre quâune chanson de Neil Young ou Leonard Cohen par exemple.
Merci de dire ça ! A vrai dire, je nâai Ă©coutĂ© que ces musiques lĂ auparavant donc je nâavais presque que ça comme rĂ©fĂ©rence. Jâai quand mĂȘme essayĂ© de rajouter un peu plus de sens direct que quand j’Ă©crivais en anglais Ă mes dĂ©buts dans la musique. Je me suis posĂ©e la question du sens en me disant : âsi jâenchaĂźne ces deux mots-lĂ , est-ce que ça fait vraiment sens pour moiâ ?
Effectivement, jâaime les Ă©critures un peu abstraites, et câest ce qui me plait dans le folk en anglais. Jâai beaucoup lu Johnny Mitchell, Bob Dylan, Leonard Cohen pour ne citer quâeux. Ce sont trois plumes autant que des musiciens, ils ont une rĂ©elle Ćuvre littĂ©raire.
En fait je nâai pas spĂ©cialement voulu faire du folk en français, mais jâai, plus simplement, voulu continuer Ă crĂ©er ma musique en français. Jâai Ă©tĂ© bien inspirĂ©e par des artistes comme Baptiste Hamon, qui est un de mes meilleurs amis, mais Ă©galement Olivier Marguerit, Chevalrex dont on parlait, Bertrand Belin ⊠Jâessaye de me rattacher Ă cette âconstellationâ artistique lĂ , plutĂŽt quâĂ une autre.
Est-ce que le fait dâavoir voyagĂ© au QuĂ©bec tâa Ă©galement inspirĂ© pour rĂ©ussir Ă Ă©crire en français sur ta musique ? Je trouve quâil est souvent trĂšs inspirant dâĂ©couter des artistes quĂ©bĂ©cois dans la maniĂšre quâils ont dâassocier une musique trĂšs anglo-saxonne et des paroles en français. Dans une forme trĂšs libre, qui paraĂźt spontanĂ©e âŠ
Oui, et les artistes belges aussi ont souvent, je trouve, cette libertĂ©. Mais il est clair que les artistes quĂ©bĂ©cois s’autorisent souvent une forme de fantaisie. Câest dĂ©tendu, câest un peu festif, ça peut ne pas faire sens, ça peut ĂȘtre loufoque. Il y a une forme de loufoquerie que je nâai jamais trop retrouvĂ©e en France, et que jâestime ne pas faire du tout non plus dâailleurs.
Il paraĂźt plus facile et Ă©vident pour ces artistes dâĂ©crire en français et de le relier Ă quelque chose de trĂšs musical. Je pense Ă des artistes comme Safia Nolin qui est super inspirante. Je pense Ă KlĂŽ Pelgag aussi, une reine du loufoque et qui, en mĂȘme temps, arrive Ă ĂȘtre trĂšs Ă©mouvante.
En France, câest culturel je crois, on attache parfois plus dâattention aux textes quâĂ la musique. On peut parfois te dire : âun piano ? mais attends, jâai un super plugin de piano, ça fera lâaffaireâ.
Jessy Mc Cormack, qui a produit ton album, avait bien lui cet héritage musical anglo-saxon ?
Oui, et câĂ©tait encore mieux pour moi car jâallais directement lĂ oĂč je voulais aller, c’est-Ă -dire avoir un son anglo-saxon, sans quâon me dise âah mais lĂ on entend pas le texteâ. Câest mĂȘme moi qui ait beaucoup demandĂ© Ă monter les voix dans le disque. Au dĂ©part, elles Ă©taient noyĂ©es dans la musique, câĂ©tait presque du Tame Impala ⊠(rires) CâĂ©tait super en tout cas de travailler avec Jessy qui a une approche trĂšs rock, trĂšs blues. Il vient de lĂ en tout cas. Câest un producteur de gĂ©nie.
Entre toi et ton hĂ©ritage musical plus francophone et lui, cela a créé un bon mĂ©lange au final âŠ
Oui. On a aussi beaucoup eu de conflits avec Jessy, mais dans le bon sens du terme, on a chacun un peu tirĂ© de notre cĂŽtĂ©. Le mix a Ă©tĂ© long, compliquĂ©. Je tenais Ă plein de choses, et lui moins. Mais jâavais confiance en nos conflits! JâĂ©tais contente dâavoir des conflits avec lui. Je savais que sâil tenait Ă quelque chose, câĂ©tait pour une bonne raison, car il croyait en ce quâil faisait. Par contre, je nâai pas fait une seule concession, je suis contente de mon album de A Ă Z!
On a dĂ©jĂ beaucoup parlĂ© de la mer. La chanson sur la Normandie, câest par rapport Ă une attache personnelle que tu as avec cette rĂ©gion ?
Je suis allĂ© beaucoup en Normandie pour Ă©crire, ce nâĂ©tait pas trĂšs loin de Paris, câĂ©tait calme et pas trĂšs cher. Câest donc un peu le hasard qui mâa amenĂ© lĂ -bas. Et les Normands, je les trouve chouettes, ils me font parfois marrer. Je ne sais pas, ils ont un truc un peu ârustreâ que jâadore ⊠Enfin bref, dĂ©solĂ©, je nâai pas beaucoup dâautres choses Ă raconter sur cette chanson (rires) ! Disons que câest une chanson qui contient un aspect un peu romantique des choses.

« Je ne trouvais pas mes limites, mes frontiĂšres. Ce âtuâ permet de remettre ces frontiĂšres, ne pas se faire avaler par ce qui est extĂ©rieur Ă soi. »
Tu as dis dans une des interviews que tu as mis dans ton premier album tout ce que tu avais sur le cĆur depuis lâenfance. Tu penses que tu as rĂ©ussi Ă retranscrire tout ce qui te pesait depuis toutes ces annĂ©es ?
En fait jâai surtout dit ça en pensant au fait que le premier album marque gĂ©nĂ©ralement comme une ânaissanceâ. Quand tu fais un second album, tu vas plutĂŽt puiser dans ce qui sâest passĂ© entre ton premier et ton deuxiĂšme album. Mais ce premier album, il a Ă©tĂ© puisĂ© entre moi, aujourdâhui, et moi Ă ma naissance. Câest surtout ça que je voulais dire par lĂ .
Ce nâest donc pas que je voulais dĂ©charger absolument tout ce que jâavais sur le cĆur, mais plutĂŽt ramener dans cet album tout ce que je nâavais pas dit ou Ă©crit avant. Cela remonte donc Ă mes premiĂšres Ă©critures, Ă des souvenirs assez archaĂŻques. Et Ă des sentiments trĂšs existentiels aussi, car câest un premier album trĂšs centrĂ© sur moi finalement. CâĂ©tait une Ă©criture de chansons trĂšs intime.
Peut-ĂȘtre que pour mon prochain album, je parlerai dâun sujet extĂ©rieur Ă moi, de quelquâun dâautre, je nâen sais rien. LĂ je nâai pas pu faire autrement que dâessayer de me dĂ©finir, dâaccoucher de moi-mĂȘme en quelques sortes âŠ
De te situer ?
De me situer, câest exactement ça, câest un trĂšs bon mot, merci. De me situer par rapport au monde. Je le reprendrai !
Tu tâadresses souvent Ă un âtuâ dans tes chansons. Ăa te permet justement de t’extĂ©rioriser dans ce procĂ©dĂ© dâĂ©criture trĂšs personnel, de te confronter Ă quelquâun dâautre dans ton discours ? Ou alors, ce âtuâ, câest toi ?
Ăa dĂ©pend des chansons ! De temps en temps je pense que câest moi. Câest une maniĂšre de m’auto-dĂ©crire certainement. Mais justement câest aussi une façon pour moi de me situer. Parler dâun âtuâ, dâun âtoiâ, câest dĂ©finir tout ce qui nâest pas moi. Le âtuâ câest un peu ça finalement, câest tout ce monde extĂ©rieur.
Je pense Ă la chanson âComme la fin du mondeâ qui est une chanson sur le fait de ne pas arriver Ă comprendre qui on est au milieu des autres gens, ou face Ă quelquâun dâautre. Ne pas comprendre ces frontiĂšres. Et donc câest une chanson qui vise beaucoup Ă essayer dâen mettre une. Câest une chanson qui dit : âmoi je mâarrĂȘte lĂ , lĂ est ma limite, et au-delĂ de cette limite vient le reste du monde.â Câest quelque chose qui a Ă©tĂ© pour moi une grande souffrance pendant longtemps. Je nâarrivais pas Ă me situer.
Par rapport aux autres ?
Par rapport aux gens, par rapport au monde. Jâavais lâimpression dâĂȘtre un peu âtransparenteâ. Je pense que câest quelque chose qui arrive souvent aux femmes malheureusement. Je ne trouvais pas mes limites, mes frontiĂšres. Ce âtuâ permet de remettre ces frontiĂšres, de ne pas se faire avaler par ce qui est extĂ©rieur Ă soi.
Je pense maintenant Ă cette derniĂšre chanson de lâalbum âAllez Chagrinâ. Ses paroles mâont fait penser Ă la chanson de Barbara, âLa Solitudeâ, oĂč cette derniĂšre personnifie rĂ©ellement sa solitude. â Partout, elle me fait escorte, et elle me suit, pas Ă pas. Elle m’attend devant ma porte, elle est revenue, elle est lĂ . La solitude, la solitude.â
Oh, oui, tout Ă fait. Je pense quâelle a dĂ» beaucoup m’inspirer pour cette chanson, car je lâai beaucoup Ă©coutĂ©e. Jâai dĂ» l’ingĂ©rer et la restituer sans mĂȘme le savoir âŠ
Jâaime bien cette idĂ©e de personnaliser un sentiment comme cela, de lui donner une forme humaine. Câest une forme de deuil en fait de quitter le chagrin ou la solitude. Si jâĂ©cris des chansons, câest pour cela, câest pour lĂącher prise, dire au revoir ⊠CâĂ©tait dâailleurs hyper important pour moi que cette chanson soit la derniĂšre de lâalbum.
Je nâĂ©coute pas trop de chansons françaises mais, pour le coup, jâĂ©coute Barbara. Car, finalement, câest un style en soi Barbara ⊠Câest marrant car jâai Ă©coutĂ© sa chanson âDrouotâ ce matin, je ne sais pas si tu la connais. Elle est hallucinante. Drouot dĂ©crit le lieu dâune salle des ventes aux enchĂšres, et la chanson raconte une dame qui nâa plus de sous, qui a un ancien amant. Cette dame revoit des objets quâelle nâavait jamais revus et qui sont mis aux enchĂšres. Et elle nâa pas assez dâargent pour les racheter. Câest bouleversant. Elle chante : âles choses murmures si nous savons entendre.â Câest dâune beautĂ© âŠ
Pour en revenir au sentiment de solitude, je crois que ça peut aussi ĂȘtre un choix au fond de sortir de la tristesse. A un moment donnĂ©, tu dois choisir. En fait, on ne sert Ă rien en Ă©tant tristes : on peut finir par se dire : âje suis lĂ , on est tous les deux lĂ , dans une piĂšce sombre, il y a du soleil dehors, et on sâembĂȘte!â Câest trĂšs ennuyeux finalement le chagrin, ce nâest pas seulement Ă©pique ou hĂ©roĂŻque. Et si personne ne dĂ©cide de bouger, tu peux rester Ă©ternellement dedans. Jâai vraiment la sensation que certaines personnes que je rencontre sont dans une salle dâattente, attendant que quelque chose vienne, et cette chose ne vient jamais parce quâelles ne dĂ©cident pas dâen sortir.
Donc cette chanson câest vraiment cette action de sortir dâune piĂšce sombre que je voulais restituer. Et câest donc pour cela que je voulais la mettre Ă la fin, car finalement toutes les chansons de lâalbum mĂšnent Ă cela : cette petite action qui consiste Ă passer le pas de la porte.
Est-ce que ta crĂ©ation, c’est aussi ce qui te guĂ©rit de cette mĂ©lancolie ?
Oui, complĂštement, essayer de transformer les choses, câest ce qui guĂ©rit. Finalement pour aller mieux il faut Ă©crire, et en mĂȘme si tu Ă©cris câest que tu vas dĂ©jĂ mieux. Donc, entre ces deux moments, il y a cette zone un peu mystique.
Quand on ne va pas bien, on nâarrive pas Ă Ă©crire finalement ?
Oui, et dâailleurs il y a un super documentaire sur Nick Drake oĂč sa mĂšre ou sa sĆur racontent que quand il nâallait pas bien, il nâĂ©crivait pas de chansons. Les chansons si tristes de Nick Drake, quâon imagine Ă©crites dans la souffrance, ont en fait Ă©tĂ© Ă©crites quand il allait mieux. Quand il nâallait pas bien, il Ă©tait certainement prisonnier de sa chambre comme tout le monde ⊠Donc si tu Ă©cris câest dĂ©jĂ que tu vas mieux, mais câest en mĂȘme temps ce qui te permet dâaller mieux.
Lâimage de lâartiste torturĂ©-e qui, par sa souffrance, arrive Ă Ă©crire ses meilleures chansons, câest un vrai mythe ?
Ce serait un peu grossier de voir les choses comme cela, ça manque de nuances. Personnellement ce nâest pas la souffrance que je vais chercher quand jâĂ©cris, mais plutĂŽt le questionnement, les choses que je ne comprends pas. Lâartiste maudit ⊠je trouve que câest plutĂŽt une posture. Quand tu ne vas pas bien, je pense que tu ne peux rien faire. Moi je mange des chips en tout cas quand je ne vais pas bien ⊠(rires)
Parlons de ta chanson âMidsummerâ. Je tâai vu la chanter en session au Trois Baudets avec beaucoup dâintensitĂ©. Tu cries, mĂȘme, Ă un moment du morceau. Comme si tu recherchais cette intensitĂ© dans lâinterprĂ©tation dâune chanson plutĂŽt douce Ă la base.
Midsummer est une chanson qui parle de naissance. Je la commence souvent tout doucement et puis elle se densifie au fur et Ă mesure quâelle avance, comme on se densifie en arrivant au monde. Donc, ça a du sens pour moi de la chanter de cette maniĂšre. Je cherche toujours une maniĂšre de crier en la chantant, ce qui est parfois trĂšs foireux, mais qui parfois sort trĂšs bien.
Tes paroles se font Ă©galement plus frontales dans cette chanson : âQuâon me laisse une nuit, dans les bras la mer. Quâon me laisse ĂȘtre ici, lâanimal et lâĂ©ther. Quâon me laisse ĂȘtre ici, car il faut bien sây faire.â Ăa, additionnĂ© Ă lâintensitĂ© de ton interprĂ©tation, ça donnerait presque des frissons!
Oh, merci ! Sur scĂšne, jâai dâailleurs changĂ© les paroles de cette chanson. Je chante âQuâon me laisse une nuit, dans les bras de ma mĂšreâ. Je change souvent mes paroles sur scĂšne.
Quel est le moment oĂč tu te dis quâune de tes chansons pourra ĂȘtre dĂ©fendue ? Que tu as son âsqueletteâ ?
Olala, câest une grande souffrance pour moi! HonnĂȘtement, et je vais te rĂ©pondre trĂšs pragmatiquement, je les envoie Ă ma petite fĂ©e qui est mon manager et mon producteur. Et câest lui qui me dit. Je nâarrive pas Ă le faire seule. Ca peut aussi ĂȘtre parfois dâautres personnes. Par exemple sur la chanson Black Hole, que jâai Ă©crite littĂ©ralement en dix minutes Ă la guitare et qui nâa jamais bougĂ© aprĂšs ça – câest dâailleurs la premiĂšre fois que ça mâarrivait – je lâai tout de suite envoyĂ© Ă mon ami Henri Rouiller avec qui jâai un peu co-Ă©crit mon album, et qui mâa conseillĂ© de ne rien toucher. Câest vraiment une relation de confiance, câest lâautre qui me dit. Je suis encore un peu un bĂ©bĂ© avec tout ça, jâespĂšre quâun jour je serai plus autonome. Jâenvoie aussi beaucoup de chansons Ă mon ami et artiste Baptiste Hamon, que jâestime et qui me fait des retours.
Quelque part, si on ne mâavait pas dit de faire un album, je nâen aurais peut-ĂȘtre pas fait. Si on ne mâavait pas fait des compliments sur ma musique et incitĂ© Ă continuer, je ne serais peut-ĂȘtre pas devenue artiste. JâĂ©tais plus destinĂ©e Ă ĂȘtre mĂ©lomane que musicienne- crĂ©atrice. Si on ne mâavait pas poussĂ© Ă Ă©crire-composer, jâaurais peut-ĂȘtre Ă©tĂ© accompagnatrice, jâaurais fait de la musique avec des gens mais sans ĂȘtre sur le devant de la scĂšne. Et jâai encore aujourdâhui beaucoup besoin quâon me pousse.
En mĂȘme temps, tu nâen es encore quâĂ tes tous dĂ©buts avec ce premier album.
Oui, et câest pour ça que tous les commentaires sur mes chansons sont trĂšs prĂ©cieux. Quand tu me dis toi-mĂȘme quâune de mes chansons est rĂ©ussie, ça me fait trĂšs plaisir et je tâen remercie.
Je fonctionne beaucoup avec des personnes de confiance artistique et affective. Je nâattends pas quâil y ait une hype autour de ma musique, des passages tĂ©lĂ© ou autres. Pour la sortie de mon single âComme la fin du mondeâ, il nây a eu aucune hystĂ©rie de la part des gens qui mâĂ©crivaient, mais je sentais quâils avaient Ă©coutĂ© la chanson, et quâelle les avait touchĂ©s. Je lisais donc leurs commentaires, que je trouvais hyper centrĂ©s sur eux et pas du tout superficiels. Et ça mâa fait du bien. Je nâai pas envie que les gens sâagitent avec ma musique, jâai envie quâils se centrent.
Pour dĂ©cider quâune chanson est finie, je vais plutĂŽt chercher de la justesse dans le retour des personnes que des chiffres. Je crois que câest Ă partir de lĂ que les choses durent. Les carriĂšres de chanteurs ou chanteuses qui me font rĂȘver sont faites de ça. Je crois finalement aussi que jâaime bien que les choses restent confidentielles. Câest mon cĂŽtĂ© un peu lunaire je crois, plus que snob. Jâaime bien avoir le sentiment de dĂ©nicher moi-mĂȘme les choses que jâapprĂ©cie.
Merci beaucoup pour ce joli moment Lonny. Pour finir, tu peux nous citer une chanson francophone de ton choix.
Je vais te citer une chanson qui je crois va te faire marrer. Câest Plastic Bertrand – Tout petit la planĂšte. Elle est hyper Ă©mouvante je trouve. Et son thĂšme ressemblerait presque Ă du François de Roubaix. Je lâai Ă©coutĂ© par hasard dans un blind test, et je lâaime beaucoup.

Lonny x Ex-Voto x paru le 21 janvier 2022 (Horizon/Un Plan Simple)
Les pistes :
- Incandescente
- Comme la fin du monde
- Avril Exil
- Eteins la mer
- Mid Summer
- Black Hole
- Dans la maison des filles
- (Not So Sad) Love Song
- Le goĂ»t de l’orge
- Le sable normand
- Allez chagrin
Propos recueillis par Simdo
Remerciements Ă Margaux Charmel
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